C’est une parade, ça commence par la parade de cinq femmes. Elles se montrent, elles disent leur nom, elles aiment révéler le détail qui les caractérise.

CLARA  

Clara, celle qui lace sa bottine. Imaginons : Il est deux heures du matin, la lune est ronde, elle fait briller le poil des chiens, la lampe balance, le lit est défait. Sur l’oreiller, on voit peut-être un bas de soie.

TOUTES
De la soie?

CLARA
Oui, de la soie. Je suis debout, le pied sur le rebord  de la fenêtre, j’aime qu’on me regarde. Mes vêtements sont éparpillés sur le sol, je ne suis pas nue, mais presque. J’enfile mon bas. À la fenêtre d’en face, le rideau est légèrement écarté. Homme, je sais que tu es là, tu as les yeux vissés sur tes jumelles de marin. Homme, tu mates, tu zieutes. J’ai de beaux seins, parfois la sueur les mouille, j’ai une langue, je lèche la sueur, celui qui n’aime pas le goût de sa sueur est déjà un cadavre.

SILOU  
Silou, celle qui refuse de comprendre. Commencer est difficile, alors je me retourne dans ma peau, je vibre, j’explose. Si le monde est mal fait tant pis pour le monde. Je me fiche des façons raisonnables de s’installer dans la vie, il y en a mille, et pas une qui me convienne! Je ne suis pas banale. Toi, (Gisèle a bougé comme si on s’adressait à elle) oui, toi, ne va surtout pas t’imaginer que parce tu es là, je vais me gêner. Pense ce que tu veux, je m’en fous. Tu es toute tendue comme une bête qu’on va capturer. Tu marches déjà dans la paume de ma main, tu ne le sais pas encore. Dans un film, une fille remonte une grande avenue de New York, elle est dans une décapotable, elle sourit, il y a les buildings, les gens jettent des petits bouts de papiers, c’est comme si le ciel s’était découpé en lamelles. Moi, je veux être un papier dans le vent. En attendant, j’ai un amoureux.

Elle embrasse son cran d’arrêt.

Avec ça, j’épingle un timbre à vingt mètres.

MALIKA 
Malika, celle qui aime bien perdre. Cette fille-là (elle désigne Silou) voici ce qu’elle m’a dit:

SILOU
Je sais comment tu t’appelles. Tu t’appelles Colette. Quand ta patronne a besoin de toi, elle dit « Colette, mais enfin, Colette! qu’est-ce que vous faites? occupez-vous de la cliente! Colette, vous avez encore oublié la lumière dans la réserve. Colette, ce rouge à lèvres! pas ici ma fille, ah, non, pas ici ce n’est pas le genre de la maison. » Alors elle te gifle, ta patronne! Elle dit « c’est une galerie commerciale ici, pas un bordel! » C’est humiliant, c’est très humiliant, tu n’as rien à toi. Regarde comment ils t’ont attifée, la honte! la haine! Tu pourrais mettre un cache poussière, au moins, tu aurais l’air de ce que tu es, une fille de maghrébin qui n’a même pas pu faire coiffeuse. Pardon. Ce n’est pas ce que je veux dire. Je veux dire que, justement, tu n’as pas l’air d’une vendeuse. Tu n’as pas à te laisser déguiser par eux. Tu es belle. Qu’est-ce que tu veux à la fin? Si tu continues ,la terre entière oubliera que tu es belle. 

MALIKA

Voilà ce qu’elle m’a dit. 

SILOU

Oui, c’est ce que j’ai dit!

MALIKA

J’ai répondu ceci: toi, la casseuse, je t’ai repérée, toujours plantée là comme un mauvais soldat qui va faire son coup. Fais attention, je pourrais raconter des choses à la patronne. Elle appellerait le service de sécurité. Elle dirait : ici, il y a de la vermine, et toi, tu foutrais le camp aussi sec parce que tu aurais les vigiles au cul.

SILOU
Fais-le! 

On dirait des vrais

1994 Mise en scène de Lorent Wanson

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