La maîtresse, une ancienne actrice, réveille la servante en pleine nuit. Commence un périple qui va les mener à Douvres, terre shakespearienne. Les deux femmes s’affrontent sans ménagement, c’est leur façon de s’aimer, de s’estimer. Des secrets se révèlent. Au-delà de l’anecdote, Reines de pique est une fable sur l’égalité des êtres humains.
Début
MARIE. J’écoute le vent. (Bruit d’un vent violent, longtemps. Puis des coups frappés à une porte.) Il était 3 h 15 du matin ! Encore une de vos lubies, avais-je dit, une extravagance, une excentricité. Une de plus, avais-je ajouté. Mais puisque c’est votre décision… C’était en effet la décision de madame. Partir avec ou sans motif ne relève pas de mes prérogatives. Madame va où elle veut quand elle veut à l’heure de son souhait. Madame n’a de compte à rendre à personne et surtout pas à moi une domestique. Madame est libre, libre, libre, et ce n’est pas une vieille servante ronchon qui va priver madame de liberté. Bien sûr, je ne nierai pas qu’à 3 h 15 du matin, quand des coups avaient retenti contre la porte de ma chambre – et pas discrètement ! plusieurs coups bien affirmés, bien martelés – j’avais sursauté. Qui frappe ? Qui est là ? Ça cognait, ça cognait ! C’était le noir mitan de la nuit, l’heure où réveillé en sursaut on bouillonne dans les marmites de l’angoisse. Est-ce mon heure ? Est-ce la blafarde qui vient réclamer son dû ? Eh, non ! Pas de ricanements squelettiques. Pas d’odeur d’au-delà. Pas de courant d’air tombal. Ce n’était que madame Rien que madame. Pas plus que madame. Mais madame toute entière dans une exaltation qui ne me disait rien qui vaille. Madame surgissant du sommeil l’œil volontaire, harnachée de pied en cap, alpenstock à la main.
ÉLISABETH. Lève-toi, on part.
MARIE. On part ?
ÉLISABETH. On part séance tenante.
MARIE. On part… On part… Où allons-nous ? Où voulez-vous aller, madame, c’est la pleine nuit !
ÉLISABETH. On part.
MARIE. Je l’aurais giflée ! Quand on ne sait pas où on va, on ne réveille pas les autres. J’aime bien faire ma nuit, moi ! Mais de ma nuit madame n’avait cure. “La seule nuit qui vaille est celle de l’éternité”, a-t-elle lancé, sentencieuse.
ÉLISABETH. Nous allons à Douvres, Angleterre.
MARIE. Elle voulait aller à Douvres, Angleterre !
ÉLISABETH. Douvres, immédiatement. Douvres, séance tenante.
MARIE. Quand madame a une idée en tête, elle ne l’a pas au cul.
Personnages
Elisabeth, actrice en fin de carrière
Marie, sa domestique
2017 Publication chez Actes Sud/ Papiers
2018
2020