Cul et chemise : Deux frères, Louis et Victor. Deux acteurs confirmés, deux visions du théâtre apparemment opposée. Mais malgré tout : le lien d’une passion commune.
1.
Ce soir, Louis a joué, il a quitté le théâtre et rentre chez lui, un peu fatigué. Il ne parle pas. Victor écoute du jazz. Louis remplit une coupe de champagne, la vide d’un trait. Victor semble l’ignorer.
LOUIS -. Excellent champagne. Je te sers une coupe ? (Pas de réponse de Victor qui fume sa cigarette et continue d’ignorer Louis en écoutant Charlie Parker.) Très bien, aujourd’hui. (Il avale la coupe qu’il avait servie pour Victor. Il cherche à provoquer une réaction de Victor.) Salle archi comble. Forte pièce. Mise en scène tonique. Public intelligent. Du velours du début à la fin. On se sent en forme quand ça roule comme ça. On donne le meilleur. On brille. (Il attend de Victor une relance qui ne vient pas). En tout cas, trépignements, et ferveur, et battements frénétiques des mains pour l’ensemble de la distribution. Bon dieu, tu aurais du voir ça. Ce que c’était bon. J’ai même eu le privilège d’un succès personnel, une dame au cinquième rang s’est dressée quand je saluais, elle hurlait bravo, bravo, bravo, dingue, c’était dingue !
VICTOR -. Une hystérique probablement.
LOUIS -. Pas du tout. D’autres spectateurs se sont dressés à leur tour, et en un tournemain la salle était debout.
VICTOR -. Donc, tout baigne.
LOUIS -. Tout baigne, comme tu dis.
VICTOR -. À voir ta tête, on ne le dirait pas.
LOUIS -. Juste un peu de fatigue. (visant le morceau de musique.) Tu te l’écoutes en boucle ?
VICTOR -. Tu préférerais Céline Dion ?
LOUIS -. (Il sort ses habits de scène de son sac.) Ma chemise de scène pue, il faudra la lessiver.
VICTOR -. La lessiveuse n’a pas changé de place depuis hier.
Silence.
LOUIS -. Victor, je n’y suis pour rien.
VICTOR – . Je sais, Louis, je sais.
LOUIS -. Il y avait un rôle pour toi dans cette production, je ne dis pas le contraire, (il coupe la musique.) mais, à l’époque, lorsque j’ai avancé ton nom, j’ai pu constater que l’atmosphère s’alourdissait. On se méfiait. On ne voulait pas de toi. Ton talent n’était pas en cause, mais ton mauvais caractère, oui ! Une foutue tête de bois! Toujours inquiet. Soupçonneux, ombrageux. Pinailleur. Tantôt, c’est le planning qui est mal fait, tantôt, c’est le metteur en scène qui ne sait pas ce qu’il veut, tantôt c’est le dramaturge qui complique tout. Et cette insupportable façon que tu as de faire comprendre à tout le monde que tu connais la pièce mieux que personne ! Les couturières sont nulles, les maquilleurs sont nuls, le public est nul…
VICTOR -. Frilosité. Mesquinerie. Petitesse partout, est-ce ma faute ?
LOUIS -. Il n’y a plus que les technos que tu tolères, et encore, à la buvette.
VICTOR -. Quand c’est pas bien, c’est pas bien, et dire que c’est bien quand c’est pas bien … c’est pas bien !
LOUIS -. Tu uses ton talent dans tes chicanes, voilà la vérité.
VICTOR – Quand on a raison, on a raison, même si ça emmerde les autres.
LOUIS -. Je crois plutôt que ton angoisse a pris le pas sur ta disponibilité. Tu dévales la pente. Je m’inquiète pour toi. C’est dramatique. Reprends-toi ! Fais un effort !
VICTOR -. Laver ta chemise, par exemple ?
LOUIS -. C’est la meilleure !
Personnages
Louis, acteur confirmé
Victor, acteur confirmé
2017 Publication chez Actes Sud/ papiers
2021 Création à la scène nationale de Perpignan