Le père est blond. La mère est blonde. La fille est blonde. Une famille de blonds de plus en plus désorientée, assaillie par toutes sortes de peurs ; la peur de l’autre, la peur de la différence dans un monde de plus en plus cosmopolite, la peur d’avoir peur. Une peur viscérale rivée au corps qui les pousse à rejoindre le parti dont le chef dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas et promet des jours plus radieux. Comme Blanche-Neige, ils décident de croquer la pomme et basculent dans un conte de fée devenant le temps d’un cauchemar les témoins privilégiés de la victoire des partis d’extrême droite européens.

Jours Radieux est un conte noir agressif et drôle pour exorciser les démons.

 

 

I LA PEUR

1 Tout va bien.

LA BLONDINETTE -. (Au public) Il était une fois, une paisible maison, habitée par de braves gens.

Les jours étaient tranquilles.

Chaque chose à sa place.

Pas une poussière. 

Pas de confusion.

Pas d’incertitude.

Pas d’agitation.

Aucun trouble.

Le Blond, la Blonde et la Blondinette admiraient le chant du joyeux canari dans la cage.   

La petite famille dans son pavillon

 

LE BLOND -. Tout va bien.

LA BLONDE -. Tout va bien.

LE BLOND -.  Tout va bien, n’est-ce pas ?

LA BLONDE -. Tout va bien.

LE BLOND -. Tu es sûre que tout va bien ?

LA BLONDE -. Absolument sûre. Et toi ?

LE BLOND -. Sûr. Sûr. Tout va bien.

LA BLONDE -. Si tout n’allait pas bien, tu le dirais ?

LE BLOND -. Oui, mais tout va bien ?

LA BLONDE -. Oui, oui, tout va bien.

LA BLONDINETTE -. C’est bien quand tout va bien.

LA BLONDE -. (à la Blonde)  Et si, -par hypothèse !-, j’apercevais, il me semblait apercevoir,  j’avais l’impression d’apercevoir quelque chose qui ne va pas bien ?

LE BLOND -. Quand on aperçoit quelque chose qui ne va pas bien, on le dit, un point c’est tout. Tu as aperçu quelque chose qui ne va pas bien ?

LA BLONDE -. Non ! 

LE BLOND -. Parfois, on voit quelque chose qui ne va pas bien et on ne sait pas tout de suite qu’on l’a vu. On l’a vu sans le voir, en quelque sorte ? Et on ne pense pas à le signaler. 

LA BLONDE -. Tu crois que j’ai vu sans le voir quelque chose qui ne va pas bien ?  Tu m’inquiètes.

LA BLONDINETTE -. Bon, le temps est magnifique, je vais lire au jardin. 

LA BLONDE -. Oui, mais ne t’éloigne pas. 

LE BLOND -. Reste dans le périmètre.

LA BLONDE -. Et vérifie que le verrou de la porte est bien tiré.

LA BLONDINETTE -. Compris !

Le Blond a ouvert le journal

LA BLONDE -. Quoi de neuf ?

LE BLOND -.  Les Hongrois viennent de voter une loi pour taxer les chiens étrangers.

LA BLONDE -. Ah ! Rien de particuliers, alors ?

LE BLOND -. Un homme politique a fait une déclaration. Il dit que si le papa n’est pas là pour le salaire et la maman pour s’occuper du ménage, tout va de travers.

LE BLOND -. Il a raison, il a raison. 

LA BLONDINETTE -. (Elle appelle) Papa… 

LE BLOND -. Oui, mon cœur.

LA BLONDINETTE -. Quelqu’un passe dans la rue.

LE BLOND -. Quoi ! Reviens ici !

LA BLONDE -. Reviens tout de suite ! 

LE BLOND -. Rentre immédiatement. Qui était-ce ?

LA BLONDINETTE -. Sais pas.

LE BLOND -. Il t’a parlé ? Il t’a dit quelque chose ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

LA BLONDINETTE -. Rien.

LA BLONDE -. C’était un homme ? 

LA BLONDINETTE -. Je crois.

LE BLOND -. Comment , « je crois » ? Un homme est un homme, une femme est une femme, c’est l’un ou c’est l’autre.

LA BLONDINETTE -. Mais qu’est-ce ça change ?

LE BLOND -. Une petite fille trouble facilement les hommes.

LA BLONDINETTE -. Je ne suis pas une petite fille.

LA BLONDE -. Il s’est approché ?

LA BLONDINETTE -. Non.

LE BLOND -. Il a eu des gestes déplacés ?

LA BLONDINETTE -. Non.

LA BLONDE -. Ma petite chérie, s’il t’a fait quelque chose, tu dois me le dire. Je suis ta maman.

LE BLOND -. On ne te fera aucun reproche. Ce n’est pas de ta faute.

LA BLONDINETTE -. Non, je vous dis. Il passait, voilà.

LA BLONDE -. Il passait : c’est ça qui est inquiétant. 

LA BLONDINETTE -. Il marchait vite, il avait l’air pressé, il ne regardait pas spécialement dans ma direction.

LA BLONDE -.  Comportement suspect. Attention danger.

LA BLONDINETTE -. Pourquoi ? Je ne comprends pas.

LE BLOND -. C’est une ruse, ma petite fille. Les prédateurs sexuels font toujours semblant de ne pas s’intéresser à leur victime. 

LA BLONDE -. Donc, si dans la rue quelqu’un ne s’intéresse pas à toi : méfiance ! Méfiance !

LE BLOND -. La menace qui n’a pas l’air d’une menace est la pire des menaces. Elle flotte dans l’air comme un mauvais gaz, elle vous paralyse la cervelle. 

LA BLONDE -. Aujourd’hui, le danger vient de partout. Il exige de nous une vigilance de chaque instant. Ce soir, il faudra bien fermer les volets.

LE BLOND -. À l’été, nous renforcerons les barrières du jardin.

Son du mail qui arrive

LA BLONDINETTE -. Papa, un mail pour toi. 

LE BLOND -. Qu’est-ce que c’est ?

LA BLONDINETTE -. Ça vient de ton boulot. Une invitation.

JOURS RADIEUX

Personnages

Le blond

La Blonde

La blondinette

 

2014

Mise en lecture au Théâtre du rond-Point (Paris)

2017

Publication aux éditions Lansman

2017 Compagnie Impakt, conception et mise en scène Fabrice Schillaci, avec Joëlle Franco, Élisabeth Karlik et Stéphane Vincent

Scénographie Johanna et Johan Daenen costumes Marie-Hélène Balau création lumières Renaud Minet

au Festival de Spa, au Théâtre Varia (Bruxelles), au Théâtre de Liège et tournée en France

2018

au NEST – Centre Dramatique National Transfrontalier de Thionville Grand Est (FR)  et à Eupen (BE)

 

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