Je n’aime pas l’idée de la prise de conscience. On viendrait au théâtre inconscients de certaines choses et tout à coup des gens qui savent mieux ces choses que nous, les porteraient à notre conscience. L’idée de la prise de conscience implique un déséquilibre entre celui qui est supposé savoir et celui qui est supposé ne pas encore savoir. Le théâtre n’est pas une leçon, il na rien a gagner en cautionnant des postures de surplomb. Le théâtre ne dévoile pas, il multiplie. Les points de vue, les possibles, les instants, les récits, les mots, les images, les sons, les lumières, les costumes, les gestes, les mouvements, les situations. Le théâtre est un accélérateur de vie, même le pire il le fait voir sous l’angle de la vie. Le spectateur vient au théâtre avec ce qu’il est, ce qu’il a été, ce qu’il espère devenir. Un espace singulier l’accueille, un acteur lui parle, il entend cette parole avec d’autres : voilà déjà une première accélération de la vie.
Au cœur du théâtre, je place la relation du spectateur à l’acteur. Si cette relation prend une forme concrète pour chacun c’est que l’acte théâtral a eu lieu. Dans le cas contraire, c’est l’ennui, le repli, l’indifférence, la perte de temps, la perte de vie. Cette relation résulte d’une tension permanente entre identification et de distance. En usant des mille déclinaisons de cette mise en tension, le théâtre raconte le monde à sa façon. Son matériau de base est le matériau de la télévision ou de la presse : le monde en mouvement, la spirale contradictoire des vouloirs, des désirs, des ambitions, de la réalité. Mais le théâtre libère d’autres possibles que la télévisions ou la presse. Les libère autrement. Faire voir autre chose parce qu’on fait voir autrement : voici la première tâche du théâtre. Cette vision renouvelée inclut une dimension de plaisir. Le théâtre même le plus noir est du côté de la jubilation : Shakespeare, Beckett, Brecht, Müller.