Prises de positions.
à David Strosberg.
1- Un théâtre n‘est pas une épicerie (même fine). On n’y présente pas de produits ciblés que les consommateurs vont s’arracher.
2- La vie d’un théâtre ne devrait pas se limiter à remplir les rayons de produits frais et performants, facilement vendables, d’un bon rapport qualité-prix, avec la pointe de nouveau qu’il faut pour allécher le client pointu et la capacité aussi de refiler des produits habituels sous des emballages neufs. Le spectateur n’est pas un consommateur, il ne vient pas au théâtre comme on va au super marché acheter sa boite de petits pois.
3- L’inventivité devient un concept commercialo-médiatique quand elle est trop faiblement liée à la signifiance.
4- La dynamique créative d’un théâtre a besoin de la mise en commun de matériaux artistiques. Avec la mise en jeu d’un matériau commun, une proximité artistique se forme et permet à une équipe d’avancer sur des références (positives ou négatives) partagées. La mise en commun permet aussi l’affinement du discours et contribue à remettre en dynamique la question de savoir avec quelles visées on fait les choses. Un théâtre qui ne travaille pas à son autoformation risque rapidement l’éparpillement de ses forces artistiques dans des guerres d’individualités et des palabres qui masquent en dernier recours de simples rivalités de personnes.
5- Un théâtre se construit dans la durée par sa capacité de mouvement, sa capacité à se donner de nouveaux objets communs (textes, problématiques, visons du monde, buts immédiats et buts lointains, etc.) L’addition des subjectivités ne suffit pas à donner à une maison sa pleine dynamique. Un théâtre n’est pas une écurie où chaque cheval fait sa course. C’est plutôt un groupe qui doit avoir des approches artistiques collectives, et celles-ci ne peuvent advenir que dans la confrontation de tous à différents matériaux.
6- Une équipe de théâtre est faite de gens qui au delà des affinités personnelles se construisent un champ de références commun. Le travail de tous peut ainsi s’ajouter au travail de chacun. La fonctionnarisation d’un théâtre commence quand le sens du projet commun le cède à un simple partage du gâteau.
7- Afficher ses goût artistiques en proposant un texte à la lecture, c’est permettre à l’autre d’entrer dans un imaginaire qui n’est pas le sien et d’y trouver une place, (ou de la refuser calmement) là où le discours de la « théorie » –quand ce n’est pas simplement le discours des goûts et des couleurs- se transforme rapidement en procès judiciaire avec procureur et accusé.
8- Le théâtre pour ceux qui le font peut être/devrait être/est un laboratoire où l’esprit de création trouve à la fois sa matière et la possibilité de son renouvellement. Mettre en commun lectures et commentaires, c’est élaborer le terreau d’un futur projet que personne ne connaît encore, qui est là en germe sans qu’on l’ait encore aperçu.
9- Au théâtre, trouver n’empêche pas de chercher.
10- Le théâtre regarde loin devant lui en cherchant des paroles pas encore entendues comme ça, pas encore assurées ou déployées, mais qui lui donnent des armes contre la recette, le truc facile, l’habitude, la fatigue, la bêtise.
11- Un théâtre qui ne cherche pas à se confronter à ce qui le dérange est un théâtre qui a déjà fait son lit pour se coucher.
12- Ce qui est bon dans un théâtre devient un jour mauvais parce que certains croient que le bon est éternel alors qu’il a déjà commencé à pourrir.
13- Un théâtre est dangereusement médiatique quand il produit beaucoup pour beaucoup sans autre raison que de produire beaucoup pour beaucoup.
14- L’impérialisme au théâtre est aussi détestable que l’impérialisme ailleurs. Qui cache son désir de pouvoir sous des alibis artistiques est un politicien comme je ne les aime pas.
15- Le productivisme au théâtre est une des formes de l’insignifiance. Le nombre et la multiplication tiennent lieu de visée artistique.
16- Le théâtre questionne. Quand l’art de la question se perd, le théâtre se perd avec lui.
17- Un théâtre est volontiers arrogant et bête quand il croit qu’il a réussi quelque chose.
18- Au théâtre, la tyrannie du nouveau est aussi lourde que la tyrannie de l’ancien. Ce qui importe n’est pas l’ancien ou le nouveau, mais le significatif.
19- Il y a une façon au théâtre d’être aussi bête qu’à la télévision. Certains théâtres y excellent.
20- Au théâtre, celui qui dit ce qu’il faut faire et comment il faut le faire sans prendre lui-même la responsabilité d’un geste artistique est un muezzin ou un curé.
21- Les gens surchargés qui ne peuvent pas lire ou voir autre chose que ce qu’ils font sont des handicapés de l’imaginaire.
22- Au théâtre comme dans la vie, seule la contradiction permet d’éviter la pétrification.
23- Au théâtre, il y a course à l’insignifiance chaque fois qu’on sent sur le plateau qu’aucune question fondamentale n’a été rencontrée.
24- Comment celui qui n’est jamais intéressé par le théâtre du voisin pourrait-il me faire croire à son intérêt pour l’Humanité ?
25- Les minorités ont bon dos. Avec elles, le théâtre peut toujours se refaire rapidement une virginité.
26- Il est bon qu’émane d’un théâtre une proposition artistique radicale, mais cette radicalité ne doit tout de même pas conduire le théâtre à se couper le pied.
27- Une oreille qui n’entend que sa musique est déjà sourde.
28- Un théâtre est un assemblage de formes variées, petites, grandes, abouties ou volontairement inabouties, des formes qui visent un but ou qui ne sont encore que chemins indéfinis. Un théâtre qui n’adhère qu’à la forme monumentale et définitive ne s’étonnera pas d’être vu comme un mausolée.
29- Au théâtre, parfois, l’affiche est plus intéressante que le spectacle : c’est embêtant ! Il arrive aussi que le programme soit illisible et le graphiste heureux.
30- Le théâtre a besoin de rectitude, pas de raideurs.
31- Le théâtre n’est pas entièrement lui-même quand il ne vise plus qu’à l’implacable efficacité d’une machine.
32- On se perd très facilement dans un théâtre surtout si on demande son chemin aux mauvaises personnes. Elles vous disent « par ici, par là, encore par là, et puis par ici, revenez en arrière, case départ, coupez, coupez encore, on ne coupe jamais assez » et quand à bout de nerfs vous avez assez tourné sans trouver le chemin, elles vous plantent le couteau dans le dos.
33-Le théâtre vite fait dans l’enthousiasme peu critique et trop rapidement satisfait de ceux qui le font ainsi épuise le désir du spectateur plus qu’il ne le renforce. La prochaine fois qu’il veut aller au théâtre, ce spectateur hésite, il se souvient « j’ai aimé sur le moment, se dit-il, mais après tout ce n’était pas plus que ça. Vais-je encore me déplacer ? Est-ce que cela en vaut la peine ? ».
34- Le théâtre qui ne vit que pour l’événement mourra de l’événement : on trouve toujours plus événementiel que soi.
35- Si le théâtre devient l’exhibition du rien, il ne faudra pas s’étonner que rien n’en sorte….. sinon le spectateur !
36- Attention aux tournées ! Là où le spectacle s’est usé parce que joué très souvent, il serait souhaitable de prévoir un remboursement (taux à fixer) pour le spectateur à la sortie : personne n’aime rentrer chez soi avec un article défraîchi pour le prix d’un article neuf.